Extrait de l'Impasse et de Patchwork

 Polars d’antan

 Des monceaux de vieux romans policiers d’occasion s’entassaient dans des bacs en ferraille ajourés situés à l'extérieur de la boutique et protégés par un auvent vert anglais. À bien y regarder, on aurait presque pu voir s'extirper de ces pages jaunies la main parcheminée d'Agatha Christie tenant une fiole d'arsenic, se faufiler subrepticement sous la couverture noire et écornée d'un Jeff Chandler pour y déposer son funeste présent.

 

Échange de bons procédés voyant les doigts ridés réintégrer ses paragraphes armés d'un pistolet à barillet chromé pour dame, contredisant cette idée honteusement répandue que les grands criminels sont des loups solitaires dépourvus de tout esprit de solidarité envers leurs confrères. À quelques chapitres de là, Simenon perdu dans les brumes des canaux de Flandre, se faisait tailler la pipe par Magritte qui prétendait que ce n'en était pas une et dont un ouvrage résumant son œuvre avait atterri par hasard, non loin de l'orchidée de James Hadley Chase fleurissant sous la direction d'un certain Marcel Duhamel. Tandis qu'Hercule Poirot et Philip Marlowe se congratulaient de la réussite de leurs enquêtes respectives, Patrick prenait un réel plaisir à fouiller dans ces vieux bouquins. Le parfum exhalé par ces pages sépia le ravissait. Odeur d'encre sèche, de papier fané accentuant sa mélancolie naturelle.

 

Chaque missel du complot était humé comme bouquet d'automne. Appliquant le principe du dessin animé, il fit rapidement défiler les pages entre son pouce et son index afin que les intrigues prennent forme, que les tueurs s'animent. Il entendit des bribes de conversation gravement murmurées, des froissements de tissu, des pas chuchotés, des cris d'amour, des crissements de pneus, des coups de feu.

 

Décor, ambiance, costumes, tout y était. Ne manquaient que les auteurs décrivant du fond de bureaux cossus ou spartiates, des émotions, des paysages, peut être jamais vus, accouchant en silence de personnages élaborant de sinistres stratagèmes, vivant de troubles passions. Il voyait notamment un certain Raymond Chandler, travaillant la nuit dans un intérieur sordide perdu sous les combles d'un hôtel crasseux, éclairé comme son héros par un néon de boîte de nuit usé comme le rouge à lèvres d'une call-girl au petit matin.

 

Il le sentait juste à côté de lui, tapant fébrilement sur les rétives touches d'une vieille Remington coincée entre fioles de whisky et chapeau mou. L'image de celui qui incarna Philip Marlowe à l’écran était tellement ancrée dans son esprit qu'il n'arrivait pas à la dissocier de celle de l'écrivain qui se retrouva affublé de la nonchalance émoussée d’Humphrey Bogart.

 

À l’encontre de ce poisseux climat et à la faveur d'un exemplaire des « Dix petits nègres », il se représenta  la vieille dame permanentée de mauve et coiffée d’un chapeau à voilette. Respectable accoutrement euphémisant le fait qu’elle avait autant de morts sur la conscience que sa gorge en crête-de-coq comptait de perles. Diabolique mémé trempant des cadavres dans son thé quotidien comme on y trempe avec délectation des scones.

 

Il la voyait dans la tiédeur ouatée de la vieille Angleterre, plonger sa plume argentée dans un encrier de cristal empli d'acide et de sang.  Étranges insulaires dont les rombières, lassées de se morfondre d'ennui, deviennent maîtres d'œuvre de génocides sur canapé. Au détour d'une pile d'ouvrages de cette sommité de la littérature policière, il tomba sur une vieille édition de Sherlock Holmes. Sur la couverture était imprimé en ombre chinoise le profil du héros et de sa célèbre pipe. « L'homme à la lèvre tordue, le ruban moucheté ». Les aventures du pédant détective l’aidèrent à traverser la Manche et à remonter le cours du  temps.

 

Il aperçut Conan Doyle traînant dans les faubourgs mal famés de Londres en quête de criminels à la dimension de Jack l'Eventreur. Il voyait son ombre courir de pub en pub,  titubant sur les pavés luisants de ruelles frileusement enfouies dans le brouillard où s’égaraient des calèches aussi noires et mystérieuses que les chevaux les emportant. Quête éperdue de prédateurs courant jusqu'à l’aurore ou sir Arthur passablement éméché se penchait au dessus d’un caniveau lui tendant son grimaçant reflet en lequel il découvrait le nervi tant convoité.

 

Autant de mystères qui au fil des pages voient la perfide Albion compter les nombreux Gaulois jalousant secrètement ce sens du suspense, de l’absurde et d’un certain raffinement leur échappant à tout jamais.

Description

christian chauffour 03.07.2020 07:09

merci chantal alors nous avons eu certaines lectures en commun et ressenti les mêmes sensations

Chantal Delorme 03.07.2020 03:29

Magnifique texte qui me transporte dans ces vieilles pages que j’ai lues et relues... J’en ai même senti l’odeur!

christian chauffour 23.09.2018 10:42

merci nathalie c'est encourageant

Nathalie GIROT 23.09.2018 07:07

Waouh quelle danse ou même je dirais valse de mots très bien orchestrés, ce qui donne envie de poursuivre le chemin de la lecture!

Myriam CUKIER 15.03.2018 07:05

Oh là l, James Hadley Chase, à cause de ces putains de polars, je voulais être "flic", ouf j'ai raté mes diplômes, mais je les relis toujours .

christian chauffour 23.09.2018 10:43

thank you myriam il n'est jamais trop tard

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...