Extraits de Patchwork

Les chats

Énarques du confort aux voluptueux étirements qui dès le début de l’automne se pelotonnent contre les radiateurs, volent les derniers carrés de soleil comme ils chapardent le saumon du réveillon oublié sur la cuisinière, pour l'été venu se plaquer à la fraîcheur du carrelage comme un Inuit à son igloo. Samouraïs griffus à la prodigieuse détente, ressorts miaulant, hérissant les poils, crachant d'atrabilaires miaulements, couchant leurs oreilles pour découvrir leurs dissuasives canines de vampires au persan empiétant par inadvertance sur leur territoire. La traque n’est pas une condition sine qua non de la survie mais un art de vivre.

Tressaillant loup de leur acuité aux aguets, tassement aiguisé, reptation ramassée, embuscade groupée comme un gymnaste avant son saut périlleux. Dangereux recueillement avant la promptitude meurtrière, égorgeant d'un seul coup l'étourderie de l'étourneau, décapitant le piaf, jouant avec son cadavre ensanglanté pour le ramener avec une démarche de conquérant à ceux qui ont le privilège de vivre sous leur toit. Sanguinaires tueurs pourtant capables des plus grandes tendresses quand le plat ovale de leur crâne se blottit sous la paume avec des ronronnements de délectation et que le rose confetti de leur langue doublée de toile émeri vous râpe la peau pour un inimitable gommage.

Fentes pupillaires filtrant le trop plein de clarté pour le soir venu se muter en billes rondes et pétillantes roulant d'un bord à l'autre de leur velouteux triangle en scrutant la nuit comme une boutique de farces et attrapes, les changeant en rigolardes boules de poils, en crabes sauteurs, en pelotes espiègles métamorphosant un intérieur en un tourbillon de malice, courant après leurs  queues, un rond lumineux, un bout de ficelle, d'infimes petits morceaux de n'importe quoi pourvu qu’ils sautent, tournent, virevoltent.

Inépuisable enjouement, turbulente gaieté, jurant avec ces  énigmatiques airs de divinités égyptiennes qu'ils arborent quand l'envie les prend de signaler le respect qu’appellent leurs gracieuses postures. Véritables brise-bonbons, authentiques broute-ovaires, réclamant vingt fois par jour l'ouverture des portes et fenêtres dans les deux sens quand la chatière vient à manquer.

Pire, après avoir bruyamment rouspété en regardant fixement la poignée de porte durant de longues minutes,  le portier  déconfit les voit s’éloigner nonchalamment queue dressée,  trou de balle à l’air dans la direction opposée de la lourde grande ouverte. 

A peine le domestique de leurs caprices  a t‘il posé son popotin dans un fauteuil,  que ces divas enfourrurées reviennent en jetant des miaous excédés ainsi sous-titrés : " Dis donc cossard,  c’est pour aujourd’hui ou pour  pour demain cette porte ?  Je ne te paye pas à rien foutre,  figure-toi !". En tout chat sommeille un bourgeois condescendant, un patron sadique, un tyran ouaté.

Chapardeurs de génie, sympathiques voyous que leurs pattes arrière durablement empruntées aux lapins emportent loin de leurs rapines. Lions destitués dormant en rond avec une griffe sur l’œil en guise de pare-soleil pendant que l'oreille affûtée espionne le pas de l'intrus qui ose leur servir à manger pendant la sieste.

Doivent avoir eu des vies antérieures absolument harassantes pour pioncer autant. En moyenne, seize par jour à ronfler sans vergogne  pendant qu’on va trimer pour leur ramener de quoi casser la graine. Squatters officiels, nourris, logés, blanchis comme première dame de France, bébé dans ventre de maman, roupillent tout le temps, épuisés de se reposer le jour.

Noctambules invétérés, font la nouba toute la nuit, cernent nos yeux de furax bleu jusqu’au orteils qu’ils prennent pour des souris véloces dés qu’ils bougent sous les couvertures, de leurs petites dents pointues les croquant avidement comme gourmands caïmans.

Panthères de poche déambulant la queue raide  comme une antenne radio pour mieux capter les ricanements intérieurs que provoque le pestilentiel fumet sournoisement lâché par le fion distingué.

Mais, lorsque la peine nous étreint, ils le sentent et se collent à nous en un long câlin. La fréquence de leurs ronronnements nous apaise, faisant d’eux de merveilleux baumes anti-chagrin. Ceux qui prétendent que les raminagrobis ne sont que des créatures suffisantes, ne pensant qu’à  elles, les méconnaissent violemment. D’affection, ils sont très demandeurs. C’est juste que c'est quand et où, ils le décident.  

Aristocratiques félidés pratiquant la chasse uniquement pour la beauté du geste et traquant des heures durant un moucheron ou courant après une balle sans être assez serviles pour la ramener à celui qui l’a lancée. Un sacré de lombalgie, dos en vrac, passe devant un portail dans un silence feutré. Un molosse rappelle sa stupide existence de chien en aboyant comme un corniaud. La confrontation de ces deux attitudes dénonce la distinction du premier au détriment du  second. D'un côté coussinets discrets évoluant en toute indépendance, de l'autre gueulement de supporter réclamant à son maître l'autorisation de respirer. Quand ils n’ont pas envie d’être importunés, les greffiers font la sourde oreille ou se barrent quand on les appelle. Les clébards décapsulent les bières des vigiles, étoffent le foutriquet en mal de carrure. Et celui qui a vu un mistigri se faire choper par un clebs ne doit plus être tout frais.

Patricia Rezé-Rébulard 22.02.2022 12:40

Un amoureux des chats et un grand connaisseur peut écrire un tel texte : les descriptions des comportements, des habitudes de vie sont tellement bien détaillées

Clo 06.06.2021 14:36

Belle description

Rigolote et tellement vraie

Le chat Roi

christian chauffour 19.07.2018 16:35

ils sont magiques

joelle fleury 19.07.2018 16:14

quelle fine observation .....
une amoureuse de son chat

lolotte 14.04.2018 11:06

j;aime ce texte,
on ressent l'interêt de l'auteur pour ses boules de poils et aussi le vécu !!!!

christian 14.04.2018 18:30

merci laurence car tu les aimes aussi

Myriam CUKIER 15.03.2018 07:01

finalement pourquoi on les aime ? peut être parce ce sont juste des chats

barba 26.01.2018 21:43

tres beau teste sur les chats ,mon animal preferer,tu es genial christian ton amie christiane

christian chauffour 10.10.2017 12:41

merci sylvie c'est trés gentil à vous
les amoureux des chats ont des points communs souvent la littéraire
nombre d'écrivains en avaient
Colette Léautaud etc

Sylvie BLONDEAU 10.10.2017 12:33

Beau texte qui fait honneur à nos chers félins, merci. Vous n'avez pas que le don de la plume vous avez le don de l'observation.

Quinot15 08.08.2017 07:28

c'est tellement vrai !

comme l'écrit Dominique, pour les décrire aussi bien il faut les aimer

merci

christian chauffour 08.08.2017 07:31

merci quinot c gentil

jany 06.03.2017 20:28

Merveilleuse description de cette petite boule de poils indépendante, digne et cruelle qui inspire le respect sans exclure la sensibilité et les câlins. BRAVO

christian chauffour 08.08.2017 07:32

merci jany

Dominique Brené 30.01.2017 11:54

Votre texte est épatant, vous les connaissez bien. Car pour les décrire il faut les aimer. ...je me suis régalée en vous lisant !*Une amoureuse des félins )

christian chauffour 08.08.2017 07:32

merci dominique

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...