Les Pitchouns  

De naviculaires taches de couleur flottent  au gré du bleu. Luminosité rasante, dorée de fin de journée quand tout s’apaise sauf la marmaille batifolant sous la surveillance attendrie de parents ravis d'avoir confié leur futur vieillissement à cette giboulée de piaillements guillerets.

Partout, devant, derrière, à gauche, à droite, des dizaines de lardons aux syllabes édentées attendent la petite souris mandatée par leurs fabricants. 

Grassouillettes membrures poudrées de chapelure les acheminant vers d'intemporelles dînettes des sables, d’éternels chantiers édifiant des tas de forteresses mutilées.

Archères amochées par l’étourderie, merlons pulvérisés par la maladresse, créneaux incertains,  remparts effondrés par les chamailleries, douves malmenées par l’envahissant clapotis.

Quinquets en coquillage pour débonnaire géant bousculant un gentil croquemitaine en gilet de nacre. Sablonneux brouillon finalisant la préhension, ajustant la dextérité, laissait le soin aux truelles, pelles, râteaux et seaux de peaufiner la longue séance d'ergothérapie de la prime enfance. Non loin  des trois, sept ans, les petits frères,  les petites sœurs, encore  dans les ventres des mamans en faisant croire le contraire. Irrésistibles poupons  qu’affectionnent les couvertures de Parents Magazine, rebaptisant  les vaguelettes à coups de syllabes ébréchées.

Petits jambonneaux protégés par le losange des jambes fondatrices. Ouvertes sur la partie externe dans le tiède sablon, semi-fléchies, talons collés, à l’intérieur gigotent de minuscules postérieurs  aussi joufflus que les frimousses dont les boucles jaunes, noires s'échappent des petits parasols posés sur leurs crânes gazouillant d’allégresse. Babillage en simili barboteuses bordées de fronces courant en diagonale des fesses potelées de petits pots de lait rappelant le pot au lait de la pauvre Perrette. Popotins naïfs, spontanés, enveloppés de manière de gros pansements soudainement jetés en l’air comme couches-culottes usagées par des darons peu soucieux de l’environnement.

Têtes en bas, minuscules mains agrippées au sol, bouilles mi réjouies, mi-apeurées avec la langue d’une crispation certaine tirée de côté tout en prenant lentement de la hauteur. Dans une audace formidable, les minimes délaissaient la rambarde sablée et s’écartent progressivement en balancier d’un équilibre précaire. Prenant tous les risques, le buste replet se dresse, triomphalement porté par les courtes jambes torses. Sourire béat, d’une altitude nouvelle, prématurée. Ivresse des sommets hilares ou l’oxygène vient  inévitablement à manquer.

Quatre-vingt-dix centimètres de mimétisme bancal, de bipédie quasi inopinée, tanguent, vacillent dangereusement et après cet éphémère triomphe, la déconfiture.  Le piéton en devenir retombe lourdement dans la poudre ocrée en malaxant allégrement l’obscure saucisse lovée dans la charlotte blanche à moineaux bleu pâle empaquetant le p’tit pétard ravi qui repart aussi sec à l’attaque. Dix fois, vingt fois, s’envole le candide petit bonhomme appelé à devenir  grand, beau, génial, idéaliste, ou vieux avant de l’être, pingre, fat,  snob, dégueulasse, pervers.

Sadiques ou humanistes ayant indifféremment fait fondre  leurs nids de rondeurs réconfortantes.

La maman d’Adolphe nourrisson, ignorait en l’allaitant, donner le  sein à cinquante millions de morts. Les bulles de salive moussent au coin des lèvres comme des bébés bisous. Désignant la mer, les menottes se tendent comme des épuisettes à vagues et les bouches charmantes pépient des comptines improvisées. Les immenses mirettes cillées d'innocence cruelle se lèvent  vers les papas en leur disant qu'ils sont les maîtres du monde et bien plus. Ces mêmes maîtres du monde et bien plus, tout heureux de trouver regard si flatteur, enveloppent  de leur avant-bras velus le pitchoun qui regimbe contre cette surveillance assidue le confiant à la planète maternelle.

La cuillère du goûter devenu pinceau magique, maquille en clown compote ou en fée confiture ces  acrobates aléatoires qui chaque minute entre comme sur une piste de cirque sous l’émerveillement de maman et font leur numéro de charme cousu d'imprécision, de grâce malhabile  tirant des auteurs de leurs jours, des cyclones de papouilles, des raz-de-marée de poutous, des ouragans de câlins participant à l’éveil des chérubins obéissant à âge fixe à une étape incontournable. Depuis la naissance, l’adorable charabia se tient essentiellement au centre du cercle maternel délimitant l’aire de jeu, dressant ses barreaux utérins prévenant tout danger éventuel.

Parc à jouer, à aimer, à aimer jouer de ce circulaire amour dont la souplesse annonce les prochains diamètres qui s'élargissant progressivement, voient un jour poindre une relative autonomie s’ébattre sous l’œil attentif de cette planète mamelue dont la voie laiteuse ne se retire véritablement de l’enveloppe naine qu’au terme des neufs mois de croissance mentale qui permettent à la jeune caboche de comprendre que le corps de sa première demeure et le sien ne font plus un. Si certaines jeunes femmes, trop occupées à lire, folâtrer, séduire, s’en battent les trompes de Fallope, d’autres en revanche, regardent avec envie l’émouvant batifolage des minimes confiant leurs fossettes à une main de grand, des petons patauds pédalant sur les vagues en poussant des rires tellement communicatifs que quelques dorades se risquent à les partager.

Quand le soleil tire sa révérence , que la plage se faisait désert, des mots d'enfants écrits sur le sable attestent  de leur passage : " Récipient de la République. J'ai fait tomber mon gant dans le bababo. À quelle heure c'est le feu dentifrice ? Je vais allumer les volets. Le ketchup c'est comme un doudou liquide que je mets dans mon manger.  Papy m'a dit qu'il jouait au tiercé et pourtant à chaque fois qu'il y a les chevaux qui courent sur la télévision, il n’est jamais dessus ".

Même à cette heure tardive,  les femmes stériles évitent ces plages-ventres qui sentent l’enfance.

Patricia Rébulard 23.02.2022 14:09

Texte très rythmé ! Comme dans une cour de récré, ça va vite ! Descriptions, comparaisons, situations, mots d'enfants.. Le thème est bien abordé, complet. Bravo

joelle fleury 17.08.2018 15:46

picasso étant mon maitre...

christian chauffour 17.08.2018 08:38

picasso ?????

joelle fleury 17.08.2018 06:47

quel tableau tu peins !!!!! c'est du picasso !

Lolotte 09.05.2018 07:43

Ce texte est beau et me fait repenser à mes enfants petits

christian 09.05.2018 08:35

merci madame louloute !!!

samsam 28.01.2016 23:10

parler des enfants un monde merveilleux jolie texte

Maryse 16.06.2015 23:00

Le monde des touts petits.....insouciance et découverte....

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...