BECANES

 Tilt ! Une ampoule sur la tête comme dans les BD. Deux ans sans qu'un bon kilogramme de moustiques ne se soit collé sur ses dents, deux ans sans que son poignet n'ait enroulé de la puissance comme un moulinet du vertige relançant une droite vibrante, tendue, ténue comme un fil de soie, deux ans sans avoir été catapulté par le vrombissement rageur des quatre cylindres, deux ans sans avoir éprouvé cette formidable poussée dans les reins, deux ans sans  crissement de la roue arrière, deux ans sans que l'horizon n'ai violemment  basculé, deux ans sans l'inclinaison du corps qui fait corps avec la bête  rugissante, deux ans sans que la béquille latérale n'ait raclé le goudron comme l'on fait sauter une croûte d'un coup de couteau, deux ans sans le tintement des gravillons sur le garde boue avertissant du danger,  deux ans sans la jouissive peur qui noue les tripes mais fouette l’audace, deux ans sans qu'une bécane n'ait tracé d'élégantes arabesques comme la plume d'un stylo ivre d’évasion, de fureur et de bruit, deux ans sans cette conquête spatiale au ras du bitume consolant de n'être qu'un piéton, deux ans, c'était beaucoup trop. Il avait envie de renouer avec la grande confrérie des casqués.

 

 

Huit jours plus tard, il était fou de joie devant sa magnifique Kawasaki 1100 ZZR profilée comme un vaisseau intersidéral avec son carénage de noir. Durites Avia, Bulle Ermax, 4/1 Devil, 150 ch en full power. Une sacrée bécane qui envoie sévère et dotée d'une tenue de route époustouflante. Un vrai rail, avait précisé le vendeur aux yeux roublards. Il exultait au guidon de ce bolide qu'il poussa sur l'autoroute de l'est (seul véritable piste d'essai aux abords de Paris) à deux cent quatre-vingt km/ h. Le seul hic c'est qu'on avait monté un menteur à la place du compteur qui annonçait moitié moins de kilomètres que ce que le moteur en avait parcouru. C'est ce que révéla le mécano après avoir démonté  le moulbif de la kawa à cause d’un piston percé, à la mine défaite du nouvel acquéreur. Sa mère finança la réparation et Patrick passa un coup de fil au vendeur qui nia tout en bloc. Pas procédurier pour deux ronds, le jeune homme se contenta de l'insulter copieusement et se focalisa sur le seul plaisir du pilotage.

 

Kawa Man

La Croix Vallier s'éloignait dans le dos de Patrick. Brise d'asphalte et vapeur de goudron. Coupleux et souples, les 150 chevaux de la puissante nippone, réparée grâce aux deniers maternels, montaient en régime sans à-coups. Leur vrombissant passage décoiffa plus d'un arbre. Branches griffant le noir bleuté de la toile nocturne. Les quatre cylindres dévoraient la plaine assombrie. Une grange se souvenait des fenaisons. Ses tuiles se soulevaient à la douce plainte du vent.  Brutale ouverture des gaz.  Adieu rats des champs ! De rares lumières, des magasins fermés, une rue étranglée entre des maisons closes.

Le village se releva comme le virage d'un vélodrome.  La Kawasaki pencha dangereusement. Culture de l'inclinaison. Titiller la perte d'adhérence des pneus comme le dompteur agace le tigre de son fouet sans l'exaspérer. Un stop au bord d’une nationale.  Pieds à terre. Yeux baignant dans l’opacité rembourrée du casque intégral comme de trop verts alevins.

Droite, gauche. La bécane rugit, bondit comme une panthère, noire de préférence. Le moteur de la 1100 ZZR était un pain de dynamite. La main droite de Patrick alluma la mèche en lui refilant une décharge d'adrénaline qui dégénéra en violence routière. Bras contractés, museau dans la bulle Ermax, il fonça comme un missile vers une vertigineuse descente qui aspira pilote et machine. 180, 200, 270  km/h.  Des éclats  de nickel entaillaient les bas-côtés.

Longue parabolique passée à fond de cinquième. Précise, rigoureuse, la partie cycle (cadre périmétrique en aluminium) ne se désunissait pas. Une trois voies, un autopont, une ville en bord de route. Triste et sale ville reniée par les gaz d'échappement. La moto tourna à droite et s'engagea dans une pente ravagée de nids de mammouth. Ca rebondissait de tous côtés. Les secousses troublaient brièvement sa vue. Une enfilade de platanes en guêtres blanches menant à une église évanouie dans la pénombre. D'un muret dépassait des croix penchées, égarées, espérant la parousie rappelant  une poignée de grognards trop vieux pour être vrais, à qui personne n’a parlé de Sainte-Hélène. Décélération soudaine.  La bécane enfila une vicieuse série de virages serrés. Un peu trop vite. Ca passa juste grâce à l'excellent grip des Dunlop.

Ample élargissement de la trajectoire, plongée au point de corde, impressionnante prise angle,  déportement maîtrisé, frôlement du trottoir. Chicane vite avalée. Sonorité d'exception résonnant entre des murs. Rugissement rauque des pistons en zone rouge, noyés dans le caverneux grondement du  4/1 Devil. Viroleuse montée dans un bourg endormi. Accélération fulgurante, coupure des gaz, rétrogradage à la volée, craquement de la pignonnerie, troisième, seconde, puissant frein moteur, la gomme crissa sur l'asphalte comme un cruel baiser. Un étrange miroitement mentait le revêtement. Trop tard, plus d'adhérence. Fatale  morsure du double disques avant. La Kawa rua comme un mustang et vira Patrick qui glissa à ses côtés pour s'arrêter avant le trottoir. Sa  monture continua. Un étincelant panache l'accompagna.

Un poteau obstiné et dur comme un poteau de béton. Fracas effroyable. La 1100 Kawasaki n'était plus qu'une distorsion. Patrick se releva en se frottant les fesses, rien de grave, juste le derrière un peu entamé.

-         Putain de flaque d'huile, grogna-t’il en tâtant de sa botte l'indésirable patinoire.

Description

isa 03.01.2020 22:09

Renaud a dit putain de camion !

christian chauffour 08.04.2020 15:38

ISA concernant renaud : putain d'alcool !!!!!!!

lolotte 16.03.2018 11:45

le copilote lui fait confiance, le principale c'est d'avoir un bon point d'ancrage !!

christian chauffour 15.03.2018 12:59

rire le copilolote n'a pas à s'inquiéter je sais rouler doucement mais un motard qui dit qu'il n'est jamais tombé est un menteur !!!

lolotte 15.03.2018 12:04

après avoir lu ce texte, le copilote s'inquiète un peu !!

laurence 23.06.2017 11:14

ça c'est une vraie passion, un vrai sentiment de liberté du corps et de l'âme !

jany 06.03.2017 14:05

Vous n'avez rien perdu de votre superbe !!! Un physique , un talent fou, des photos superbes : je dois prendre le temps de m'imprégner de vos textes

christian chauffour 06.03.2017 14:09

merci jany c trop je rougis

Michèle 17.05.2015 12:18

J'adore...ton style ! Je vais donc continuer à lire d'autres extraits...

Bonne continuation !

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...