Extrait de Patchwork

Gérard Goldwing.

Elle et lui, ce fut une évidence. Au premier regard ils ont su  que c’était pour la vie.

Ils se comprennent à demi-mot,  ne font rien l’un sans l’autre et vont bientôt  fêter leur noce d’argent. Vingt-cinq ans sans un nuage si ce n’est quelques anicroches comme en connaissent  tous les mariages.

C’est toujours lui qui monte dessus,  jamais l’inverse.

Elle est sa cadette de vingt ans et semble être pourtant bien plus âgée avec ses formes rondes, démodées, limite avachies.

Pourtant, on ne peut pas dire que son cavalier avec sa bobine  couperosée de bouchon de bistrot soit particulièrement bien loti. Aujourd’hui, 5 juin de l’an de grâce 2009, c’est le jour le plus important de l’année ! Ils  sont sur leur 31, briqués comme  des sous neufs. 

Bien campé au milieu de ses reins gainés de cuir, Gérard se tient raide comme la justice.    A le voir ainsi harnaché d’importance, on pourrait croire qu’il  constitue l’avant-garde de l’escorte présidentielle alors qu’il fait  juste parti des éclaireurs du critérium des jeunes espoirs morbihannais que sa douce et tendre enfume à loisir. Gérard trique de fierté sur sa GoldWing  couleur pinard. Comme dans tous les vieux couples, un mimétisme s’est opéré. Ils sont aussi bedonnants  l’un que l’autre. Quoi qu’il en soit, c’est un jour  merveilleux pour nos deux tourtereaux. Une sorte d’apothéose les sacrant empereurs de la sécurité pétaradante !

Depuis le départ de la course, en tête de la laquelle figure Jacky Pedrono,  l’ainé du garagiste de Pleucadeu, un bon petit gars plein de fougue et d’espoir sain !!! (pas de " à l’insu de mon plein gré " qui tienne ici) Gérard ne cesse de faire des aller-retour entre le peloton et l’échappée prestement emmenée par Jacky avec Thomas Coguar et Jimmy Mailleux dans sa roue.

Il ne se la raconte  pas qu’un peu  le Gégé, en  fendant la cohorte de campagnards rougeauds qui toute l’année l’invitent à trinquer à sa santé  en souvenir d’un jour encore plus glorieux que celui-ci. C’était en  2008, en haut de la côte de Cadoudal à Plumelec. Gérard en était aussi,  sauf que là, ça ne  rigolait pas, c’était le vrai tour de France, avec les vrais motocyclistes de la garde républicaine tout de bleu sanglés. Gérard aussi était habillé en schtroumpf et s’il n’y avait pas eu la couleur pinard de sa chère et tendre, on aurait presque pu le confondre avec les authentiques forces de l’ordre motorisées. C’est justement ce qui a fortement déplu  à ces  dernières. Et elles le lui ont signifié avec véhémence. Gérard a fait l’innocent. La discussion avait été  brève

Depuis les gradins montés pour l’occasion, ses copains  l’ont vu s’entretenir avec la maréchaussée roulante. Leurs esprits  troubles comme cul de bouteille, ont intégré le motard local à cette unité d’élite alors qu’il était tout bonnement en train de se faire virer comme un malpropre. Eviction que Gérard s’est bien gardé de révéler à quiconque, prétendant plus tard au troquet, que la police l'employait régulièrement pour des aides ponctuelles et que le gradé lui avait simplement fait une remontrance sur sa tenue. Depuis, le prestige de Gérard n’a cessé de grandir auprès de ses potes qui ne rechignent jamais de  mettre la main à la poche pour lui rincer la dalle qu’il a de fort pentue.

Et s’ils se montrent  aussi  généreux avec ce vieux Johnny de province aussi élimé que sa veste à frange, dégotée au musée Dick Rivers grâce à son beau frère, copain de l’ancien guitariste des chats sauvages qui aujourd’hui vend du poisson sur les marchés, ce n’est pas sans arrière-pensée.  Nombreux sont ceux qui après avoir trinqué avec lui le raccompagnent jusqu'à son cheval d’acier garé devant la porte du saloon et lui refile en catimini l’amende que sa prestigieuse renommée est susceptible de faire sauter depuis qu’on l’à vu discuter avec le gradé casqué. Soucieux d’entretenir sa glorieuse réputation d’auxiliaire de police qu’il a laissé flotter après cet éblouissant fait d’armes,  Gérard ne souffle mot de ses rapports plus que distants avec les condés et murmure d’un air mystérieux : " Je vais voir ce que je peux faire ".

Des  petits malins ont bien quelques doutes sur l’activité parallèle de Gérard. Mais même quand on est cantonnier bas de plafond, ouvrier agricole au fin fond du Morbihan, agriculteur périmé  imbibé de vinasse, automate remisant de la volaille en kit dans des barquettes, tueur en série zigouillant  à longueur de journée du bovin avec un air de ruminant chez Olympig, employé municipal harassé de  tenir le manche de  la pelle qu’à trois, vu que le Paulo est toujours en RTT,  et que l’on ne  comprend pas  la moitié de ce que les messieurs en costumes disent à la télé, on fait ce que font les anciens avec le petit jésus avant de passer à la caisse. 

On a envie d’y croire alors on y croit. C’est pas plus compliqué que ça. Surtout  quand  on est tout au bas de l’échelle, ca redore sacrément le blason, d’avoir dans ses relations un motard  de la route, qui  plus est, ayant le pouvoir d’absoudre jusqu'à l’amnistie ses compatriotes de leurs péchés mécaniques. Et les procès verbaux continuent d’atterrir  dans les mains de Gérard qui préfère les payer de sa poche plutôt que de renoncer à sa glorieuse renommée. Mais l’homme  à plus d’un  tour dans son sac.

 En plus de son travail d’agent communal attaché à la voirie, il a monté  un juteux trafic  de panneaux routiers vendus,  via un brocanteur de ses connaissances prenant 30 %, à  des snobinards branchouille se croyant au dessus du lot en prenant l’apéro sur des panneaux  de sens interdit et en transformant leur loft en usine des années 50 avec vestiaire en fer gris, canapé en siège de DS,  bureau échappé du KGB  et tout le toutim.

Grâce à ses  accointances avec la signalisation routière,  Gérard peut continuer de faire  sauter  les  prunes  de ses potes. Pouvoir lui donnant  un prestige incomparable. S’il tient tant à cette gloire usurpée, c’est qu’elle atténue sa détresse proportionnelle à la solitude imposée par la terrible frousse que lui inspire la gent  féminine.

Qu’une gisquette à son gout,  le regarde droit dans les yeux ou lui adresse la parole et le voilà cramoisi de la tête au pied tel un boutonneux.  Il balbutie, chancelle, se liquéfie, bat en retraite et va boire un godet avec ses  copains biker’s, plus burinés par la bière que par les aventures au long cours.

Piliers de troquets comptant leurs  centimètres cubes et  picolant gentiment pour tuer le temps.  Visages agricoles, regards absents,  perdus comme le trou qui les a vu naitre et qu’ils ne quittent jamais sauf pour aller une fois l’an à la Madonne des Motards à Porcaro ou au Stunt-Show de Saint Servant sur Oust. Les stoppies, wheeling, burn  laissant des  traces de gommes qui marqueront le bitume jusqu’à l’année prochaine,  exaltent ces hommes de rien  à l’ampleur infantile disant "castrer un moteur " et non " brider". 

Ils  s’inventent une légende grâce à la  fureur des moteurs leur octroyant une puissance dont les prive leur humble condition. Frime campagnarde, comique et désuète les consolant d’être des sous-fifres, des lanternes rouges, des culs si terreux qu’ils boufferaient leurs merdes si les chromes ne leur inventaient pas ces  prestances compensatrices, ces ports chevaleresques en lambeaux une fois descendus de leurs Harley. 

Paumes rugueuses  de manuels,   jambes écartées de chef de ligne chez Cassegrain, Jean Floch  laissant supposer les  testicules énormes des étalons admirables.

Clopes crânement tenues entre pouce et index, dégagées de la  virile moue par un lent arc de cercle de la main mourant sur la hanche lacée de cuir, chainée d’argent des cowboys de Bretagne, des adolescents flétris,  des hells angels celtes tiraillés  entre binious et Fender.

Rebelles émoussés, blousons noirs du dimanche exploités durant la semaine par des patrons tirés à quatre épingles  roulant grosses  limousines allemandes,  délocalisant à tour de bras et jetant sur le pavé ces smicarts impuissants se soumettant en aboyant pour se convaincre du contraire.

Loulous de cambrousse  balançant, de leurs voix énormes laissant supposer une grappe de couilles sur chaque  corde vocale, des commentaires  salaces en reluquant les valseurs  d’émoustillantes lolitas qui pourraient être leurs filles. Machos usagés qu’une chienne de garde mettrait en piécess en trois phrases assassines.

Faussement fiers d’eux, ces David Crocket bedonnants, ces Surcoufs du fumier, ces pirates  du bitume, ces rebelles de fin de semaine  enfourchent avec une lenteur de despérados épuisés chaque week-end leurs mobylettes améliorées et ralliant quelques concentrations  de bedaines molles faisant ricaner ceux qu’ils effrayaient trente ans auparavant.

Barbaque à saucisses, barbaque à bières,  barbaques à pétasses décolorées, barbaque à concours de t.shirt mouillé, splendides  niaiseux jouant les terreurs et se rassurant en se pelotonnant les uns contre les autres avec des airs de vieux durs tenant encore les bécanes pour des aspirateurs à minettes. Mais il n’y a guère que les pisseuses de campagne pour s’attarder sur leurs cas et quand ils enlèvent  leurs casques, elles se retournent en s’esclaffant. 

Hé oui, infatigables jouvenceaux réjouissant les vrais qui passent en  Solex en se marrant de  les voir boudinés dans des combinaisons de cuir, suer à grosses gouttes en   ajustant les micros des casques les reliant à leurs gisquettes périmées. Les  jeunes insolents leur font en passant un signe  de la paix  remontant à Woodstock en lançant : " Alors papy, on a les bonbons qui fondent  ". L’équipée sauvage a du plomb dans l’aile. Gérard fait ce qu’il peut avec ce qu’il n’est pas. Un mec branché, au parfum des dernières innovations technologiques puisqu’il croit que Mac Intoch est une marque de téléviseurs.  Internet,  les sites de rencontre,  il méconnait violemment,  faute d’ordinateur.  Même pas un cyber plouc le Gégé,  un plouc tout court dont la grand-messe annuelle est la Madone des bigots pétaradants. Ca fait vingt ans qu’il s’y emmerde à mourrir mais faut bien s’occuper. Par ailleurs, ses copains  et lui  précipitent  leurs frêles économies  dans les caisses de Dream-Bike, une P.M.E spécialisée  dans la personnalisation des  bécanes. Couteuse fantaisie dévorant   la quasi-totalité de leurs rachitiques payes d’ouvrier se  donnant  l’impression d’être en marge de la société en faisant peindre des spectres terrifiques, des greluches fantasmatiques  sur les réservoirs de leurs rutilantes pétoires de mômes  ridés.

Pour Gérard ce sont deux  salaires entiers qui ont fondus comme neige  au soleil  pour avoir la gonzesse de ses rêves couchée dans les draps de métal du réservoir de sa Goldwing.

Depuis 15 ans, chaque samedi soir ses  copains  «  biquaires «   lui demandent : "  Tu viens t’en jeter un avec nous au comptoir  du Moto Club de Guégon ? ".

Et à chaque fois  Gérard répond à cette question rituelle avec un clin d’œil égrillard : " Merci les gars mais pas ce soir, faut que j’arrose ma femme". Puis, il s’éloigne dans l’élégant feulement de son quatre cylindres à plat et ses copains se poussent  du coude en se poilant :

-         Tu la connais sa femme ? demande immanquablement l’un d’eux.

-          Sa greluche c’est sa bécane,  répond l’autre, non moins immanquablement, en  pensant   que tous les samedi soir,  maniaquerie de vieux garçon oblige,  Gérard  lave sa dulcinée à deux roues à grandes eaux. Erreur grave ! De retour dans sa bicoque, Gérard s’enferme tout à double tour  et la rejoint dans le  garage. Là, il attend qu’elle refroidisse pour la chauffer à nouveau en la caressant longuement, sensuellement avec un chiffon doux au début et ensuite du bout des doigts.

Il  s’attarde sur le réservoir ou est peinte la créature de ses fantasmes. Une splendide blonde aux  seins comme des obus, un visage ressemblant à celui de  Kim Bassinger qui lui a toujours mis le zob à la verticale et un joufflu  implorant la visite d’une bonne grosse bistouquette maculée de cambouis. Ça tombe bien, il a tout le matos à portée de main, prêt à jaillir.

Chipendalle solitaire,  il se met torse nu, ondule,  se frotte, se caresse les pectoraux  en fixant la croupe de Kim, devient dur à en avoir mal, mais peine à voir son python dressé  à cause des abdos Kronembourg. Qu’importe, elle râle de désir.  Il vire à l’écarlate comme popotin de dame babouin quêtant le galantin, s’approche du pot d’échappement, s’agenouille, se débat avec son andouille  de calcif érigée façon minaret durant l’appel du muezzine, parvient non sans  mal à l’extirper de sa braguette, place un carré de chamoisine dans l’orifice préalablement débarrassé de sa chicane et y fourre son gros gland rubicond.

Une semaine d’abstinence ça vous gorge un homme de vie, un vit d’irrépressible envie de gicler. En  deux trois aller-retour,  Gérard repeint le trou de balle de sa belle en poussant un rugissement de fauve empalé. Et le motard du tour de France local, l’auxiliaire de police imaginaire qui fait l’admiration de tous,  de fondre en larmes juste après son frisson hebdomadaire.

S’il est chevalier, Gérad Goldwing n’est que celui  de la branlette désespérée. 

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...