ballade équestre

Malgré les réticences de Christelle, Patrick parvint à la convaincre d'aller faire une balade à cheval à Poigny-la-Forêt où il s‘accrocha avec  le responsable du haras lorsqu'il apprit que ses canassons grossissaient la meute d’une chasse à courre.

Mettant en avant la prolifération de cervidés, l’allié de l’hallali s'entendit répondre : " Les vieux aussi pullulent, c'est pas pour ça qu'on les  lâche dans les bois avec une nuée d'aristocrates dégénérés déguisés en chaperons rouges à leurs trousses ".

Outré, le loueur d’équidés écourta le débat d’un ton cassant : " Je crois qu'il vaut mieux en rester là ". Puis il amena deux chevaux rappelant les célèbres personnages de Cervantès.

Un grand alezan et un ventru dont la panse gonflée comme une outre se balançait de part et d'autre de la poutre vertébrale furieusement affaissée par des années de tape cul. Pépète, tel était nom de la barrique aux courtes pattes servant de monture à Christelle, qui tirait la tronche sur cette disgracieuse boursouflure tandis que Patrick plastronnait sur le fringant Flambeau.

Ils passèrent devant une vieille charrette dévorée de lichens et les fers des chevaux  tintèrent sur une route comme de joyeuses clarines avant d'être absorbés par les allées traversées de  fondrières engloutissant les sabots avec des bruits de sucions évoquant de gloutonnes fellations.

Des cantatrices feuillues chantaient le miracle de la photosynthèse. Les ramures tanguaient sous un ciel de traîne dont les brumeux pans voilaient le fond des allées. Ils glissaient dans les tonalités acajou de l'automne finissant et  l'humidité les faisait frissonner.

Les racines affleurant sous la mince croûte du bord de l'allée faisaient trébucher Pèpète et Flambeau qui se consolaient en mâchonnant distraitement les feuillages des basses altitudes.

Christelle avait beau tirer comme une forcenée sur les rennes, la puissante encolure de Pèpète la contraignait à partager ce verdoyant encas qu'elle écartait de la main en maugréant. 

À la croisée des chemins, des chênes centenaires  réunis comme de vieux sages semblaient statuer sur le cas de quelques arbrisseaux indisciplinés  poussant  en dépit du bon sens. 

Au pied de ces spectaculaires geysers d'écorce, des boussoles végétales indiquaient le nord de leurs aiguilles moussues. L’odeur entêtante de l’humus conjuguée à la brume qui tissait des chimères précipitèrent Patrick entre songe et songe. Un trois mâts aurait pu surgir du fond de ces fantomatiques allées, sans qu'il ait cherché à savoir d'où il sortait. Il travaillait, mangeait, payait ses impôts, aimait dans l'unique but de se réfugier dans ce rêve éveillé où la réalité est une kafkaïenne fiction que le magnétoscope de la mémoire enclenche, pour fouetter une adrénaline assoupie.

Le lent roulis des épaules restituant la diagonale antérieure, postérieure, le mors cliquetant dans le hennissement étouffé, la selle craquelée comme la sacoche d'un huissier en fin de carrière, le talon en appui sur le vide et le bout du soulier au bord de l’étrier assurant une suspension parfaite au moment du trot enlevé, la boucle des rênes  retombant entre l'académique écart des mains à hauteur du tapis de selle, tout ce chevaleresque maintien de fantassin adoubé par une hauteur nouvellement acquise, fut déstabilisé par un personnage qui surgit de nulle part pour apporter sa contribution à cette onirique promenade.

Un fantôme, un vrai de vrai, lieutenant-général-colonel-amiral, un je ne sais quoi d'extrêmement gradé, avec bacchantes en guidon de vélo, capote kaki, épaulettes bardées de barrettes, bottes impeccablement cirées, cravache à pommeau de nacre. Aussi martial que désuet,  il porta sa main carrée à son front non moins carré  et les salua comme s'il passait en revue le cadre noir de Saumur au grand complet. Paladin éreinté, contant sa bravoure aux animaux de la forêt et à qui Patrick mourrait d'envie de balancer : " La guerre de cent ans est finie, rentrez chez vous mon brave.  " Mais avisant la mine plus que rébarbative de cette bannière bottée, il détourna la tête d'un air dégoûté. Offensé, le militaire se redressa comme un crotale à l'attaque,  cravacha la noire robe de son palefroi qui exécuta une croupade et s’enfonça dans un brouillas de fougères. Patrick regarda s’éloigner cette vieille baderne qui doit encore arpenter les sous-bois et se référant aux défaites tricolores des deux guerres mondiales, il grommela :

-   Y'a bien qu'en temps de paix que l'armée française  peut se la raconter.

Le trottinement de sa monture le  faisait sautiller comme bouchon de liège sur des vaguelettes. Ils quittèrent les allées cavalières et les sabots s’enfouirent dans la brande. Soudain,  un éclat roux  fila le long d’un arbre.

-  Tiens un figurant de la caisse d'épargne, lança t-il à Christelle qui le pria d'aller moins vite. Il se retourna et la vit rebondir à contre temps. Pour une ancienne fillette élevée dans une écurie et nourrie au flocon d'avoine, elle manquait sacrément d'assiette. Patrick tira sur les rênes  de Flambeau afin qu'elle remonte à sa hauteur :

-            Qu'est ce qui t'arrive ? 

-          Cette foutue bourrique est trop large, j'ai les jambes en cerceau et je n’arrive pas à prendre appui sur les étriers.

Il est vrai que la belle avait sacrément perdu de sa grâce et Patrick lui en voulait presque d'avoir égaré cette magnifique allure collant les regards en révérence.

-          Reprends toi on dirait un sac à patates, charria t-il. 

-          Ta gueule connard, meugla t’elle sèchement.

Blessé par cette agressivité disproportionnée, il serra les dents et éperonna Flambeau qui projeta la terreuse gerbe d'un galop d’enfer. Pèpète, en bon wagon de la randonnée équestre, suivit comme un seul homme déguisé en bourrin. Ils rallièrent une  allée détrempée des pluies de la veille.  Les chevaux étant rarement munis de bavettes de protection, Christelle fut rapidement transformée en statue  hurlante. Patrick qui ne cessait de se retourner, s’amusait de la voir ainsi.  Plus elle braillait, plus il enfonçait les doux éperons de ses talons dans les musculeux steaks de Flambeau dont l’ample cage thoracique  coulissait entre ses cuisses arquées en mugissant comme un soufflet de forge.  Les  crins  trempés d'écume cinglaient ses mains comme un fouet. Il s’allongea sur la crinière, souleva les fesses tel un jockey et rejoignit l’étang de Coupe Gorge qu’il enjamba au triple galop. 

Quand Christelle le rejoignit complètement vautré sur le cou de Pèpète, elle vociféra :

-          T'es un enfoiré d'inconscient qui pour venger son orgueil n'hésiterait pas à me tuer.

-          Patrick se cabra à la place de Flambeau qui éreinté par sa course se  tapait une infusion de chlorophylle.

-          C'est pas de ma faute si le seul canasson que tu aies monté faisait des ronds sur un manège.

-          Arrête de chambrer,  je suis née sur un cheval. Mais jusqu’à présent j’ai monté des chevaux à ma taille. Qu'est-ce que tu veux que je tienne sur ce percheron, qui fait au moins trois mètres de diamètre ? J’ai les jambes à l’horizontale ! Par contre toi tu montes à cheval  comme tu baises. Ce n’est  pas  une mobylette. Un cheval c'est un athlète, il lui faut une séance d'échauffement et tu pars directement à fond les balais, c'est du vandalisme, conclut t’elle les larmes aux yeux.

Patrick se radoucit.

-          D'accord, d'accord, allez c'est pas très grave.

-          Si c'est grave parce qu'à la moindre anicroche tu te conduis comme un goujat.

-          Je ne vais pas me laisser insulter, sous prétexte que son altesse est en difficulté. 

-          Je suis navrée de m’être énervé mais j'ai mal au ventre, je vais avoir mes règles, geignit t’elle en lui faisant l'aumône d'un sourire. Patrick fondit dans les bras de sa belle comme un suppositoire dans un trou de balle.

Une rangée de bouleaux  montait la garde prés du miroir tremblotant sur lequel des canards tentaient vainement de dépasser leurs reflets.  Un cordon de canetons pépiait joyeusement derrière Maman qui, croupion en l’air, s’essayait à la natation synchronisée avec quelques congénères. Laissant la pièce d’eau derrière eux, Pèpète et Flambeau entamèrent le chemin du retour. Une violente averse mit le feu aux poudres. Les  deux bourrins se mirent à débouler ventre à terre dans les allées vides. Alors que des paquets de feuilles mouillées envoyées par Pèpéte se plaquaient au poitrail de Flambeau, Patrick réalisa que quelque chose ne tournait pas rond. Pèpète la débonnaire, Pèpète la placide, Pèpète accrochait une telle moyenne qu'il ne parvenait pas à la rattraper. Maculé à son tour par les mottes de boue volant comme de glaiseux pigeons, il fixait les puissants postérieurs emportant la grosse bedaine qui surbaissée par la vitesse paraissait ramper. Indice on ne peut plus alarmant, Pèpète avait le cou tendu, signe du cheval emballé, prenant appui sur son mors. Un vent de panique lui siphonna le bocal : "Il fallait impérativement rattraper Christelle avant la route". L’équilibre précaire de la jeune femme ajouta à son tempérament optimiste qui entrevit sa belle réduite en charpie au bas d'un arbre. D’une forte gifle, il  cravacha la croupe de Flambeau qui enclencha la surmultipliée et se rapprocha difficilement de l'impressionnant arrière-train de Pèpète.

Parvenu à quelques mètres de Christelle, il hurla : " tire les  rênes  sur le côté, faut lui mettre la tronche dans les fourrés ". Il vit bien Christelle effectuer une tentative mais vaincue par la folle chevauchée, elle galopait à bride abattue vers la litière fraîche.

Allez savoir ce qui se passe dans le ciboulot d'une carne comme Pèpète. Ce cas social de Pèpète qui avait les dents jaunies d'avoir trop vécu. Pèpète qui avait connu dans ces jeunes années la maltraitance chez le fermier Bodot qui la frappait dès que sa femme se refusait à lui. Et comme madame Bodot avait une sainte horreur de la bagatelle, c'est dire si Pèpète fut cajolée. Si bien que Pèpète avait fini par décocher une ruade en pleine face de l’ennemi des bêtes lui ayant valu le surnom de Quasimodo. Après la phénoménale rouste dont elle portait encore les traces sur le flanc droit, elle avait été revendue à l'exterminateur de brame qui une fois l'an lui faisait subir l'outrage de l'atteler à la carriole promenant les gosses dans les rues de Rambouillet à l’occasion de la fête du cheval. Pèpète, cette bonne poulinière toujours macquée à des bellâtres volages qui dut élever sa progéniture sans savoir ce qu'était une pension alimentaire ni une relation durable et la tendresse qui va avec. Pèpète, destinée à l'abattoir se vengeait de toute une vie de brimade et d'humiliation. Car ce n'était pas tous les jours qu'elle se sentait libre la Pèpète qui à l'aube de ses vingt quatre ans se remémorait ce temps où elle n'était encore qu'un frêle poulain dont les pattes incertaines gambadaient dans les prairies de l’ insouciance. Pèpete et son lourd martèlement aborda un trio de mycologues amateurs qui absorbé par ses recherches tarda à réagir. Christelle trompeta son incapacité à maîtriser huit cents kilos de galop déchaîné. Les mycologues eurent juste le temps de se jeter sur le côté en écrabouillant les girolles qu'ils convoitaient pour éviter cette délirante chevauchée qui ne laissa derrières elle qu'une traînée de crins ébouriffés suivi du : " scusez nous " affolé  de Patrick. La dernière ligne droite fut dévastatrice. A force de tonitruants : " Ya Ya  " que n'aurait pas renié John Wayne, Patrick parvint enfin à rejoindre Pèpète qui, bien décidée à remporter le seul tiercé de sa  de vie, se déportait de droite à gauche, empêchant ainsi tout dépassement.

-       Saute, cria Patrick.

À cent mètres de la route Christelle l'écouta enfin et finit en roulé boulé dans des  broussailles qui amortirent sa chute. Pèpète traversa la route, heureusement épargnée de tout trafic, perdit un fer qui décrivit une jolie boucle et atterrit sur le capot de  la R 14 des chasseurs de champignons. L'allée menant au centre équestre fut franchie en un temps record. Pèpète fila derrière les box où se trouvaient les seaux de granulés. Et Flambeau pris de pulsions suicidaires après cette cinglante défaite, fonça droit sur les stalles. Complètement paniqué, Patrick tira avec une violence inappropriée sur les rennes. Flambeau pila pour se dérober vers la droite, catapultant ainsi son cavalier près d'un abreuvoir situé sur la gauche et auprès duquel se trouvait un cheval pie qui se cabra sous le regard médusé du loueur d'équidé. Patrick se releva en frottant le plus splendide des hématomes que devait connaître son séant et se ramassa une engueulade  dont il dut admettre qu'elle n’était pas infondée. Il déversa cent grammes d'excuses au responsable du haras et retrouva Christelle qui clopin-clopant ralliait la Kawasaki.

-          Ça va ? s’enquit Patrick.

-           Quelle question ? bien sûr que ça va, je suis passé à deux doigts de  la quadriplégie, pourquoi cela n’irait t’il pas, hein mon couillon ?   Plus jamais de cheval, tu m’entends ? plus jamais !

-        Promis.

Patricia Rezé-Rébulard 13.03.2022 20:05

J'ai aimé lire les péripéties de cette chevauchée. Beaucoup de détails, de belles descriptions. L'attitude de Patrick un brin macho mais attendri par Christelle

christian chauffour 11.08.2018 09:06

j'avais compris que tu avais compris car tu es très intelligente !! rire

joelle fleury 11.08.2018 08:49

Je l'avais bien compris....

christian chauffour 11.08.2018 08:17

ben patrick c'est moi

joelle fleury 10.08.2018 17:18

PERSONNAGE HAUT EN COULEUR , CE PATRICK !!!!

ANNA pierin edmond 08.01.2017 10:49

Christian,

j'aime ce que vous faites, je me suis évadée un moment..
Je sais maintenant où venir pour un instant de détente et d'évasion...
bisous.
Anna

christian chauffour 30.11.2022 16:08

merci anna

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...