Extrait de l'impasse

Foire du Trône

 Comme deux parents heureux de s'être reproduits, ils embarquèrent leur progéniture occasionnelle vers les contes des Milles et Une Nuits de la porte Dorée.

Las Vegas du  pauvre, palais de carton-pâte, sultans en Tati, Shéhérazades en acrylique, Tyrol de plastoc, sapins en polystyrène, confettis en fariboles, même la lune semblait fausse. Les fêtes foraines c'est comme les danseuses du ventre, on a beau se moquer de leurs nombrils bouffis et clinquants, de leur quincaillerie de Prisunic, des lolos débordants des soutifs frangés de mauvais goût,  des frétillements mammaires, des bourrelets tressautant, des œillades de tapineuses, on regarde quand même et plus on regarde, plus on à envie d'aller y faire un tour.

Mailles sur rails saupoudrés de poudre de perlimpinpin, le métier à tisser sa féerie de pacotille changeait les cheveux  ternes en boucles d'or. De majestueuses et coruscantes toupies, s'entrechoquaient parmi les flonflons et les cris d’une joie sans tralala.

Les molletonneuses barbes à papas confectionnaient de roses mitaines poissant les doigts. Les pommes d'Amour empalées sur de fins bâtons vernissaient les quenottes des bambins d’hémoglobine sucrée. Jetons dans la fente, chapelets d’œufs se percutant dans des gerbes d'étincelles, crâne et frêle puberté plagiant les pubs Hollywood chewing-gum en les mâchant exagérément. Simulacres de taurillons sous des chapiteaux à haute tension, uppercut d'auto-tamponneuses. Coulis de coloris courant d'une sono à l'autre comme une Java cherchant sa guinguette.  Manèges zinzins déposant dans l’obscurité un foisonnement de corbeilles diaprées illuminant les passants.  Cercles de bronze et de nickel, éclats  bleus verts allumant les calots d'un  dinosaure lilas.  Filins de laiton et d’étain assemblant le grand huit des vociférations enchantées sous lequel guinchait un show biz de Mardi gras relevé d’un kaléidoscope sonore. Michael Jackson, Madonna, Johnny, Cloclo, Sheila, rigolards et rougeauds comme des gros bonbons à la fraise se dandinant sur la Lambada, la Macarena, Que je t'aime, Alexandrie Alexandra, les Rois Mages, remasterisés techno, rap, salsa.

Les gens passaient comme des truites à travers les mailles du filet musical tendu au milieu des allées. Comptines en friandises des dents pas encore plombées. Et l'école maternelle radinait pour jouer à la chandelle et régaler les anciens minots de Chamallows et de sucettes Pierrot Gourmand. Labyrinthe de verre guidant les femmes vers les trains fantômes pour la mammographie à cinq doigts d'un gorille turgescent ou d’un squelette concupiscent.

Punching-ball intégrant un semblant de train à crémaillère. Grimpette du fer à repasser les tarlouzes sur l’échafaudage branlant. L’aiguille alla en butée. Glong ! La cloche glorifia l'exploit. Le costaud triquait de fierté. Sa gonzesse n’en avait rien à carrer. Il réajusta sa chemise en se cherchant du regard. Lueurs moroses. Une guirlande d’ampoules esseulée courtisait une palissade pour passer la soirée. Un long spaghetti lumineux s'enroulait à la grande roue qui brassait la nuit comme les bateaux à aubes brassaient le Mississipi sous l’œil espiègle de Tom Sawyer. Lorsque la nacelle atteignit le sommet de son sphérique périple, l’énorme draisienne s'immobilisa. Ils découvrirent les balcons qui flottaient dans les ténèbres comme des paniers en fer forgé. Christelle et ses petites nièces étaient hilares. Patrick ne riait pas du tout. Pour cocufier l'ennui, Caroline secoua violemment leur blême coquille. Entendant le vide l'appeler par son prénom, Patrick posa sa tête sur son épaule en criant : " Arrêtez, j'ai peur ". Tout le monde entra en gaieté. Et Christelle lui décocha un mauvais : "T’es moins fier là !" auquel il ne trouva rien à répondre.

Ils restèrent coincés un quart d'heure avant d’atterrir au milieu des lampions, des gaufres, des beignets, des pralines, des nougats et des baraques à frites. Un camelot déblatérait dans un micro d’occasion acheté à Guy Lux après le grandiose Interville où Zitrone s’était fait péter ses lunettes. Des ballons dansaient dans des cages, des fléchettes fusèrent du bras d'un papa qui les éclata un à un. Le forain débarrassa  son stand d'une peluche géante ; Babar rose, Snoopy vert . . .  La fée clochette passa dans les yeux du tout petit.

Encore des manèges, des chenilles, des balanciers, tête en bas, en l’air, bustes plaqués, secoués dans des farandoles virevoltantes, boucle d'amnésie, spirale d'oubli, centrifugeuse pailletée pour s'étourdir, échapper à l'attraction terrestre, au poids des corps. Hamster sur la roue, grignoter, dévorer cette scintillante allégresse semant des étoiles au fond des mémoires.

Après quelques mois d’une intense activité, le calme se lèvera sur ces jardins à la foraine. La fête se taira jusqu’à l'année prochaine. Les porte-clefs à deux balles au milieu des huileuses marguerites qui se mettront à voler comme des papiers gras. Des panneaux bigarrés de palmiers et de chameaux coulisseront sur des rails. Les ombres bleutées des manèges endormis cesseront de l'être et seront démontées par des ongles crasseux, des biceps hydrauliques, des camions grues. Débarrassée de ses festifs oripeaux, la trépidante machinerie de la foire du Trône ne sera plus qu'un lugubre échafaudage, un Meccano déprimé qu'on enfournera dans des semi-remorques. La féerie sur pilotis cherchera d’autres villes, d’autres fondations. Et de pitoyables convois, des cirques tronqués, minables, évoquant La Strada avec pour toute ménagerie, un âne atteint d'eczéma, un singe syphilitique, une écuyère couverte d'hématomes, un clown pustuleux,  suivront comme des chiens errants ces Luna Park sillonnant l'hexagone de décembre à  janvier. Miteux nomades enchaînés à l'errance et condamnés à bouffer les déchets des Pinder, Bouglione, Gruss et des grandes fêtes foraines comme des mouettes dans le sillage d’un chalutier.

Patricia Rezé-Rébulard 09.03.2022 16:09

J'ai beaucoup aimé ! On est tout de suite plongé dans l'ambiance. Le temps de la lecture, j'y étais. Souvenir d'enfance : les stands de loterie, les berlingots.

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...