Johnny Smet.

Johnny Smet

La guitare est au rock ce que le soleil est à la vigne. Il y en a beaucoup dans ses chansons. Les anciennes comme les nouvelles. Telle une sorcière chevauchant un aspirateur branché sur  300 000 volts, un blond typhon enterrait Bécaud et dépoussiérait le conformisme chantonnant, avec des rythmes venus d'outre-Atlantique faisant twister Charles et Yvonne à l'Élysée.

Accent  crâne, ersatz d'intonations ricaines, jeunot exalté, frénétique, déboussolé pour qui beuveries et excès en tout genre furent un biberon dégainant sa sauvagerie de son étui de désespérance.

Durant une vingtaine d’années, longue succession de 33 tours apportant le meilleur (Les Rocks les plus  Terribles avec le fantastique guitariste Joy Gréco,  l’album de rock blues,  de et avec,  Micky Jones comprenant, Je suis né dans la rue, Rivière  ouvre ton lit, etc.  Insolitude,  de et avec,  Michel Mallory et j’en passe) comme le pire que l'on peut sans peine attribuer à ce grotesque carnaval du Palais des Sports 1982, orchestré par un balourd tatoué comme un tapis persan.

On atteignit des sommets de ridicule avec ses gueules de loup hurlant sur des peaux de bêtes, ses oursins sous les bras et ses terrifiantes mimiques de Mad Max des Galeries Lafayette.

Heureusement, Goldman et Berger lui ont ensuite taillé des albums sur mesure ayant permis au quadragénaire qu'il était d'accéder à la respectabilité et un professionnalisme reconnu par ses plus farouches détracteurs.

Retour sur ces tendres années, quand il était ce magnétique fauve chantant la déprime jusqu'à l'incantation. Au centre d'une flaque lumineuse encastrée dans la mouvante opacité des faciès en transe, ses traits se gonflaient d'une paroxystique expressivité.

Toute émotion était galvanisée par la nature même de la lumière ruisselant comme sa transpiration, encensant au-delà des cupides hagiographies, cette existence rarement démaquillée.

Dans cet état de réceptivité accrue, la foule accordait à chacun de ses mouvements un volume inhabituel. Un battement de cil devenait une tendre déferlante, une oscillation pelvienne se mutait en féconde giclée engrossant les minettes à distance,

sa difficulté d'être, son impuissance verbale, une légende en puissance.

Son masque mâle, émacié, ses grimaçantes lippes dégoulinantes d'une sueur de supplicié, que les fans déchaînés recevaient sur des foulards imbibés comme s'il s'agissait de morceaux de Saint Suaire détrempés de saignées christiques, ses gouffres de solitude hurlés, ses  appels au secours, son côté flexueux, ondulant, rampant, larmoyant le voyait postuler comme martyr au bal des éconduits.

En hurlant : " J’ai besoin d'amour ", en scandant : " Je  me sens si seul ", en gémissant : " Y  a t'il quelqu'un qui veuille m'aimer ? ", en martelant ses manques retentissant comme autant de cris primaux, il glissait sous son nom de scène et s'ajustait à l'état de déconsidération entachant la laborieuse masse garnissant majoritairement les fauteuils de son succès.

Durant deux heures on le voyait combattre ses démons, danser ses larmes, juxtaposer ses renoncements, célébrer ses détresses, mettre ses tripes à l'air et se rouler dedans comme s'il simulait une parturition inaboutie, comme s'il mimait l'inachèvement de sa naissance imputable à un berceau bancal.

Il se contorsionnait au fond de l'abîme. Plus bas n'existait que dans la réalité.

Aucun chanteur ne se mettait aussi minable. Alors qu'on craignait pour sa vie, que le S.A.M.U. était aux portes de l'Olympia, du Palais des Sports, pareil au phénix renaissant de ses cendres, il talonnait fougueusement et remontait sans pallier de décompression pour crever les flots oculaires s'extasiant de tant de bravoure.

Enfin, il triomphait des sortilèges de son enfance abandonnée et s'adonnait avec un pubertaire entrain aux tempos syncopés ayant suscité sa vocation.

L'alchimie d'un Hallyday avec son public, c'était l'admiration pour un archange terrassant l'orphelinat, un prestidigitateur métamorphosant la poisse de l'abandon en éblouissante trajectoire.

Le phénomène fonctionne encore. Il  persuade fugacement les humbles de toute la splendeur dont ils sont capables. Aucune trace d'idéal, encore moins d'engagement politique chez lui, juste la volonté de convaincre chacun d'envisager une trêve dans le murmure de ses regrets.

La transmutation du spectacle opérant, on assiste à ces petits miracles dont seuls, sont capables les petits dieux. Tout ce spleen brandi et vaincu, réconcilie chacun avec ses silences. Ils rentrent chez eux moins accablés en se disant le lendemain face à la pointeuse, piégés dans le rendement inhumain  de la  chaîne de montage, incliné sous les aboiements du chefaillon hargneux, que leur idole est malgré sa prison dorée, un frangin aux déprimes mitoyennes des leurs.

De ce fait, le grand fauve rugissant jouit de leur indéfectible déification malgré les brocards de ceux qui confondent intelligence et méchanceté et se rassurent sur leur propre compte en s'acharnant sur celui qu'ils estiment être l'incarnation de l'imbécillité au lieu de se tourner vers quelques sciences ardues qui les renverraient immédiatement à leur inaptitude à saisir de pures cogitations.

Nombre de ses détracteurs lui ont reproché de ne pas écrire et de si peu composer. Effectivement, il n'écrit pas, il n'explique pas, il relève du domaine de l'intuition.

C'est la force de son talent. Être cet intuitif ressenti fédérant les lésions identitaires pour mieux les chanter, les sublimer. Toute trace de cérébralité trahirait ce qu'il est viscéralement. Une pulsion à l'état brut, un joyau de l'instinct doué de raison.

Un empirique regard détrempé du bleu de la désillusion, de celle que l'on peut observer chez les fauves en cage. Il est l'animalité du désespoir, notre face cachée  qui en rugissant derrière les phosphorescents barreaux de ses mégas shows nous aide à apprivoiser l'idée que nous sommes des détenus végétant dans l'aliénante promiscuité du pénitencier sociétal.

Holà ! calmos, le fan usagé, foin d'extrapolations fumantes !!!

Avant d'être un monument national, Johnny Smet, est ce monument de timidité qui est allé voir Elia Kazan pour obtenir un autographe qu'il n'a jamais osé demander.

Cet homme doré à l'or fin de la célébrité, dont on ne sait plus s'il est en retard ou en avance tant ses époques se chevauchent jusqu'à former un magma temporel engluant son avenir, après cinquante ans de bons et loyaux services rock‘n rollien, cette star usée, éreintée est encore là.

Surtout quand la nuit l'avale, que les routes sont presque désertes, que les rares phares s'épuisant à le suivre accrochent une flavescente traine à la lunette arrière de sa limousine.

Il les voit ses cinquante années de carrière défiler dans les rétroviseurs surchargés d'images brouillées, irréelles, oubliées, pendouillant d’une table de montage comme les rushs d’un scopitone.

Il somnole sur la banquette arrière, l'idole des plus tout jeunes. Avachi, tassé comme un vagabond de luxe sillonnant l'hexagone depuis 1960 parce qu’en  dehors, il n'est rien ou presque.

Il se retrouve dans sa loge, entouré  d'ombres marchandes achetant son affection à coups de louanges, exploitant son talent, elles qui n'en ont pas une once et qui en barbouillent leurs discours de simplement le côtoyer.

Il est tard, très tard, les rock star ont une durée de vie très limitée. Jean-Philippe Hallyday est ce revenant aux cils brûlés qui après toutes ces années de tournées effrénées et cent millions de disques vendus se faisait  lamentablement jeter par des minettes qui auraient pu être ses filles avant de rencontrer son ultime épouse.

Ses croissants trempés dans le whisky, ses fiancées qui faisaient la une des journaux, le temps d'une étreinte, son Amérique en toc, sa villa d'indien cossu, le vroom vroom des Harley, les virées, les potes, les nuits blanches, la vitesse, l'oubli, tout ce qui fit son folklore, le consuma à petit feu, marqua sur sa peau cuite : " né dans la rue et vieillissant pas très loin ".

Il a tout traversé et ne cherche plus à comprendre, car si c'est encore un peu son histoire, ce n'est plus son époque, ni même sa patrie. Désormais il est de nulle part et y retourne aussi sec.

Vers cette place de la Nation où se cabrait sa jeunesse, ces lointaines scènes gorgées de sueurs où il ondulait comme une liane sous l'ouragan de l'adulation.

Pourtant, rien n’a vraiment changé. Jean Philippe Smet est toujours cet adolescent qui avec un manche à balai comme pied de micro, imitait les pionniers du rock américain en braillant dans sa chambrette de la rue des Dames que son charisme a su agrandir et emplir de millions de paumés, de millions de mirettes répandues en gélatine incolore, de millions de mains tendues en écume suppliante.

Johnny Hallyday est encore ce gosse délaissé par sa mère mannequin, abandonné par son père, professeur de théâtre à l'âge de huit mois et qu'il a vu resurgir un jour aux grilles d'une caserne pour faire des clichés grassement payés par une poignée de photographes sans vergogne avec ce fils aux lèvres duquel fleurissaient l'argent et les couplets.

Léon Smet, habitant de la nuit et du goulot  qui s’est toujours refusé à un signe de fierté, un encouragement, le moindre éloge à l’endroit de ce fils lumineux qui n’attendait que cela.  Pour la bonne raison qu’il éprouvait quelques rancœurs, voire de la jalousie envers ce rejeton ayant loupé  ce qu’il avait magnifiquement réussi : être un artiste raté,  ternir sa brillance. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de s’abîmer dans l’enivrante et désinhibante errance comme un toxique hommage à son dabe.  Mais le don était le plus fort.

Johnny a suivi l'enterrement de ce père indigne, seul comme un chien, avec en bandoulière, son cœur de midinette déguisé en gros dur qui ne trompe personne.

On peut tout dire de lui, mais avant tout, Johnny est cet hyper sensible qui en  reparle  avec des trémolos bleutés dans les yeux. Voilà pourquoi cette surexposition médiatique, cette perpétuelle recherche d'amour. Johnny Hallyday est avant tout le chanteur de la détresse. Celle qui a le privilège de pouvoir s'épancher parce qu'elle a l'assiette pleine. Johnny est la Cosette du rock français et quand il plante son regard de fauve traqué dans l'objectif d'une caméra, la grouillante pénombre d'une foule, c'est un peu de ce père inconnu qu'il traque avec toute la mystification que permet l'absence.

Ce vieux chanteur a fait de son corps une bouteille de gnole fracassée tous les soirs contre l'indestructible mur de l'abandon.

Tous ces beaux parleurs incapables de faire chavirer des stades entiers, d’un râle, d’une moue, ces inépuisables sarcastiques qui lui taillent costard sur costard, ces railleurs assermentés l’assombrissant pour s’éclaircir, ces persifleurs parlant de lui alors qu’il ne parlera jamais d’eux, peuvent-ils concevoir que ce septuagénaire qu'ils méprisent tant, est ce que l'on fait de mieux en matière de dédoublement de la personnalité.

Scéniquement époustouflant et bredouillant dans la vie. À ce titre, il demeure un cas d'école. Tous ceux qui l'auront approché de près ou de loin, aimé, snobé,  raillé peuvent-ils imaginer que le jour où il partira, ils  perdront un grand frère qui n'aura jamais vraiment su grandir, un félin doté d'un sourire solaire, éblouissant comme cette foultitude de projecteurs ayant incendié ses nuits ? Au-delà des bagnoles, des bécanes, des frasques, cette idole des  jeunes vieux, ce fantôme épuisé, ce sensitif miné par le doute inoculé par le rejet parental, demeure avant tout un orphelin, un vieil orphelin aux yeux pâles, de cette pâleur des âmes qui ne sont là qu'à moitié.

Ray 15.04.2022 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne et plaine d'amour envers notre idole .

christian chauffour 08.07.2020 17:58

merci chantal

Chantal Delorme 08.07.2020 17:54

Texte grandiose ! Quel hommage magnifique ! Tu transmets très bien ton amour et admiration envers ce Grand Artiste. Bravo!

Marie 08.11.2017 20:45

Merveilleux et généreux texte... empli de bienveillance et de justesse.. J'ai vraiment aimé. Marie

jany 06.03.2017 16:29

SUPERBE !!!

christian chauffour 06.03.2017 16:36

merci encore jany

paula grooten 24.08.2015 17:56

je t'aime johnny malgré mes 79 ans

Commentaires

30.11 | 16:08

merci anna

10.09 | 13:07

Mince je suis coulrophobe...😉

18.07 | 11:55

J'aime

15.04 | 11:41

Chapeau mec tout y est, dans les moindres détails, une portée littéraire digne ...